Rédigé par Joséphine Maidjane Mbara
Assistante au programme des industries extractives, RELUFA
Depuis la publication du rapport de la Commission Brundtland (1987) « Notre avenir à tous », qui a donné naissance à la notion de « développement durable », l’urgence mondiale actuelle est à la protection de l’environnement, en l’occurrence, à la lutte contre le réchauffement climatique. Ce nouveau paradigme appelle à la réduction des émissions des gaz à effet de serre, en d’autres termes, à la transition énergétique des combustibles fossiles aux énergies renouvelables. Dans ce sillage, le Sénégal a accueilli du 08-10 juin 2023, à Saly la conférence Afrique 2023 de Publiez Ce que Vous Payez (PCQVP) sous le thème : « Vers une transition énergétique collaborative et juste pour l’Afrique ». Juste après s’est tenue à Dakar la neuvième Conférence Mondiale de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) avec thème : « Transparence en Transition ». Ces deux événements majeurs ont posé les jalons d’une réflexion sur une transition énergétique qui ne va pas davantage creuser les inégalités sociales et accentuer la pauvreté dans les pays d’Afrique, grands pourvoyeurs de minéraux critiques, indispensables pour les énergies renouvelables. Les organisations de la société civile (OSC) d’Afrique, qu’elles soient membres des groupes multipartites de l’ITIE et/ou des coalitions nationales PCQVP, sont fortement concernées par cette thématique émergente que sont la transition énergétique et la gouvernance des minéraux dits critiques ou de transition. À cet égard, le Réseau de Lutte contre la Faim (RELUFA), OSC camerounaise a pris part à ces deux rendez-vous internationaux. Au sortir de ces conférences, et à l’analyse du rapport sur l’Indice de Développement Humain (IDH) 2022 publiés par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le RELUFA se pose la question suivante : en l’état actuel, la gouvernance des ressources naturelles en Afrique est-elle véritablement favorable à l’amélioration de l’IDH des pays riches en minéraux de transition ?
Au premier abord, les énergies renouvelables se présentent comme une aubaine pour les pays africains riches en minéraux stratégiques. Car, d’ici à 2040, ces énergies devraient constituer la première source de l’approvisionnement énergétique mondiale et représenter 75% de la nouvelle production d’électricité en Afrique, considérant l’énorme potentiel en ressources minières à l’instar du lithium, du cobalt, du graphite, du nickel, du manganèse, la bauxite, etc. Mais aussi des ressources naturelles telles que le soleil, le vent, l’hydrographie. Il faut le dire, la plupart des minéraux critiques servent à la production des panneaux solaires, de l’énergie éolienne et des batteries de véhicules électriques. Ainsi, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) annonce que d’ici à 2040, la demande en lithium par exemple s’élèvera à plus de 40 millions de tonnes. Ces tendances devraient stimuler la croissance économique dans les pays d’Afrique dotés de ces minerais et améliorer le niveau de vie des populations, des communautés locales plus précisément.
Cependant, l’état de gouvernance de plusieurs pays qui se reflète dans leur IDH ne rassure pas quant à une transition énergétique juste et équitable. En effet, la « malédiction des ressources », cette notion qui, depuis les années 1990 exprime le paradoxe entre l’abondance en ressources naturelles et l’état de pauvreté des pays africains a, elle aussi, fait sa transition. Le PNUD parle à présent de « malédictions des ressources vertes ». Les données de Natural Resource Governance Institute (NRGI) et du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) montrent que les minéraux critiques, essentiels pour les énergies renouvelables sont présents dans les pays à indice de développement humain (IDH) faible et moyen (Rapport PNUD IDH 2022).
Figure : Ce ne sont pas les seuls minerais critiques rencontrés dans ces pays. Ceux qui sont mentionnés sur la carte le sont à titre illustratif.
Par conséquent, le chemin vers une transition énergétique juste et équitable est hypothétique, le risque étant que la mauvaise gouvernance des minéraux critiques et des énergies renouvelables détériore davantage le niveau de conditions de vie des populations. Une organisation internationale comme NRGI alerte déjà sur les risques de corruption dans la chaine d’approvisionnement en minéraux critiques (NRGI, Preventing Corruption in Energy Transition Mineral Supply Chains, 2022). Par exemple, pour un pays comme la République Démocratique du Congo (RDC), un audit de l’entreprise minière publique entre 2010 et 2020 a permis de constater une perte de 400 millions de dollars US dans des projets d’exploitation du cobalt et du cuivre. Par ailleurs, d’autres faits de corruption dans le pays mettent en cause des géants des énergies renouvelables à savoir : Tesla, General Motors, Samsung et LG Ghem a occasionné des pertes à l’État congolais de l’ordre 1,36 milliards de dollars US, dans un pays où l’IDH est très faible, soit 0,479.
Hormis la question de la corruption, les minéraux critiques et les énergies renouvelables comportent le risque d’alimenter les conflits. En effet, la mise en place des projets d’énergies renouvelables ou des projets d’exploitation des minerais de transition peuvent déboucher sur des dépossessions et des conflits nourris par des tensions relatives à l’acquisition des terres, aux faibles possibilités d’emploi [locales] et de partage de bénéfices entre exploitants et communautés, sans oublier le difficile accès des communautés aux sources d’énergies. Dans son rapport sur l’IDH, le PNUD indique que : « une cartographie récente des projets d’énergies renouvelables et de zones de conflits dans cinq pays africains a révélé une étroite corrélation entre les deux. Ainsi, la proximité d’un site d’énergie renouvelable est fortement associée à un risque de conflit plus élevé pour l’ensemble des activités vertes ».
Au final, la gouvernance des minerais critiques et les énergies renouvelables sont à (ré)penser pour éviter une détérioration du niveau de vie des populations dans les pays où l’IDH est déjà assez faible. À cet effet, les Etats, les entreprises du secteur extractif et la société civile sont interpelés.