Analyse du Rapport ITIE 2014 du Cameroun
Par son adhésion à l’ITIE en Mars 2005, le Cameroun est tenu ce, depuis 2006, à travers son Comité national de suivi de mise en œuvre de la Norme et conformément à l’exigence 3 de la Norme révisée de Février 2016, de produire un rapport de conciliation exhaustif qui publie les données, les volumes et la valeur de production par matière pour l’exercice fiscal concerné. Ce qui inclut la divulgation complète des revenus perçus par l’Etat issus des industries extractives et tous les paiements significatifs versés au Gouvernement par les entreprises pétrolières, gazières et minières. Le dernier rapport ITIE du Cameroun, 9è du genre, est celui de 2014 publié le 31 Décembre 2016.
Afin de mesurer l’efficacité et la pertinence de ce rapport quant au souci de transparence dans le secteur extractif du Cameroun, il est nécessaire d’analyser ses bons et mauvais points.
S’agissant de ce que l’on pourrait considérer comme bons points du rapport ITIE, il faut dire, d’entrée, que ce rapport constitue une importante ressource informationnelle du secteur extractif camerounais. En effet, le rapport présente tous les paiements versés à l’État et déclarés par les entreprises extractives détentrices de titres miniers ou pétroliers au Cameroun, et les recettes provenant de ces entreprises déclarées par l’État pour le compte de l’exercice fiscal en cause. De même, il renseigne sur les revenus générés par le secteur extractif et le transport pétrolier, soit un montant de 842,371 milliards FCFA, avec782,414 milliards FCFA alloués au budget de l’Etat. Bien d’autres informations utiles sont fournies par ce rapport, notamment la contribution du secteur extractif dans l’économie camerounaise qui est de 37,8%, 26,94%, 7,06%, et 0,14% représentant, de façon respective, les exportations, les revenus de l’Etat, le PIB et l’emploi. C’est aussi le cas avec l’identification de toutes les entreprises extractives opérant au Cameroun, ainsi que les différentes administrations camerounaises impliquées dans la gestion de ce secteur.
Par ailleurs, malgré un secteur extractif en difficulté tel qu’observé ces cinq dernières années, le rapport note une progression des revenus de 2% pour les hydrocarbures et 50% pour le transport pétrolier. Par contre, les revenus du secteur minier sont passés de 2,5 milliards FCFA en 2013 à 1,8 milliards en 2014.
D’un autre côté, le rapport ITIE 2014 relève l’opacité qui est persistante dans le secteur extractif du Cameroun. En effet, on constate, à la p.15, que certaines compagnies extractives, retenues dans le périmètre de conciliation, n’ont pas soumis un formulaire de déclaration, notamment les Granulats du Cameroun, Clima Dubai, et MURPHY. Par ailleurs, note le rapport, la valeur de l’exportation de l’or n’a pas été communiquée par le MINMIDT. Le rapport finit par quelques recommandations pour améliorer la gestion du secteur parmi lesquelles, l’amélioration de la gestion des revenus extractifs transférés aux Communes, car la traçabilité des transferts infranationaux reste difficile.
Toutefois, au-delà de ce qui précède, il est des limites qui subsistent pour mettre en place une véritable transparence dans le secteur extractif camerounais. Celles-ci sont tantôt dues au rapport ITIE en lui-même, tantôt aux facteurs externes à ce rapport.
Au titre des limites inhérentes au rapport, il faut déjà relever le fait que le rapport est assez volumineux et son vocabulaire, technique et complexe. Ce qui rend sa consultation et sa compréhension difficile. Dès lors, le rapport reste réservé à une petite tranche de la population. Pour contourner cette difficulté, le rapport devrait prévoir un glossaire qui expliquerait les concepts techniques, car l’objectif du rapport ITIE est de « renforcer la compréhension du niveau des contributions du secteur extractif au développement économique et social du Cameroun en vue d’améliorer la transparence et la bonne gouvernance…». Par conséquent, et même si le comité ITIE produit souvent un document qui résume le rapport ITIE, il n’en demeure pas moins que celui-ci devrait être simplifié en langage et être ainsi, un important instrument de veille citoyenne aux mains des populations locales pour le suivi de la gestion des revenus qui sont issus des industries extractives.
A propos de la fiabilité des données, certaines informations contenues dans le rapport ITIE prêtent à équivoque. Comme on peut le voir à la p.13, parmi les entreprises ayant cessé leurs activités, le rapport mentionne, Géovic Cameroon Plc, C&K Mining Inc. et surtout, Rocaglia. A la p.88, le conciliateur reconnait, lui-même, qu’il n’a pas pu apprécier si les états financiers des entités déclarantes ont été audités tel qu’il est exigé par la Norme. A la p.15, il est dit que la Direction Générale des Impôts (DGI) n’a pas communiqué les informations sur les transferts infranationaux du FEICOM vers les Communes. Et même lorsque ces informations ont été communiquées, elles n’ont pas comporté toutes les informations requises par les instructions de reporting. Pourtant, c’est le même rapport ITIE, au même titre que la Chambre des Comptes, qui confirme la qualité, la fiabilité et la régularité des déclarations ITIE de l’Etat et des régies financières en soulignant ne pas avoir relevé d’«éléments pouvant remettre en cause l’exhaustivité et la fiabilité des revenus du secteur extractif reportés par les organismes collecteurs». Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de questionner une telle fiabilité.
Par ailleurs, l’autre souci concernant la fiabilité des données est lié au modèle de taxation qui est construit sur un système déclaratif où il revient à la compagnie extractive de déclarer ce qu’elle produit. C’est ce qui peut expliquer la baisse des revenus miniers concernant les « déclarations unilatérales » observée à la p.10 du rapport. L’argument convoqué par les responsables du Ministère des Finances, pour justifier le recours au système déclaratif, est une absence de ressources humaines et financières nécessaires pour faire des descentes sur site.
Quant aux limites externes au rapport et pouvant constituer un obstacle important dans le travail, il y a, entre autres, l’absence de coordination entre la DGI et le MINMIDT à propos du suivi et du contrôle des recettes extractives.
Au terme de cette analyse sur le rapport ITIE 2014 du Cameroun, il apparait que le problème de l’effectivité des transferts infranationaux persiste. Et quand bien même ces transferts sont réalisés, leur traçabilité n’est toujours pas possible ce, alors même que le pays est à son 9è rapport ITIE et qu’une nouvelle validation de la conformité du pays est prévue en Juillet prochain. Par conséquent, il s’avère nécessaire de poursuivre le plaidoyer visant à rendre les transferts infranationaux effectifs et assurer la traçabilité des opérations. Ce qui renseignerait sur les différentes destinations des transferts infranationaux, les mécanismes utilisés pour ce transfert, les véritables bénéficiaires et les montants de ces transferts. Ainsi, ces transferts pourront participer, de façon conséquente, au développement socio-économique des zones d’exploitation et par conséquent, à l’épanouissement des communautés locales.