Mesdames et Messieurs,

Dans un monde de plus en plus en proie aux conflits, nous sommes aux côtés de toutes les innocentes victimes de violence. Le Processus de Kimberley a été créé et est mandaté par les Nations Unies pour prévenir les conflits. Il est du devoir moral de tous ceux qui sont réunis ici aujourd’hui de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que le Processus de Kimberley réponde à cette attente. Au minimum, il s’agit d’éviter que le commerce des diamants ne contribue à alimenter les guerres.

Nous nous sommes déjà exprimés ici à maintes reprises, devant cette assemblée plénière, pour avertir que le Processus de Kimberley perdait de sa pertinence et de sa crédibilité. Ce n’est pas en bricolant un peu que l’on arrêtera le déclin du PK. Seule une réforme sérieuse et significative permettra d’y parvenir. Les participants au PK ne devraient pas être autorisés à choisir les conflits qu’ils souhaitent aborder. Toutes les formes de violence associées aux diamants doivent être traitées. Peu importe que ces violences soient commises par les rebelles, les forces de sécurité publiques ou privées ou les gouvernements.

Nous apprécions les discussions sur les principes d’une gouvernance responsable des diamants. Toutefois, tant que ces principes ne changeront pas la manière dont le PK et ses participants travaillent, ils ne resteront que des mots sur le papier.

Le Processus de Kimberley a été créé pour mettre fin aux guerres, mais aujourd’hui, c’est une guerre qui risque d’arrêter le Processus de Kimberley. La guerre non provoquée et injustifiée de la Russie à l’encontre de l’Ukraine fait planer une ombre très sombre sur nous tous, réunis ici dans cette salle, et risque cette semaine une fois de plus, de compromettre les progrès.

Les progrès sont extrêmement urgents, car la guerre de la Russie n’est malheureusement pas la seule question qui nous préoccupe profondément. Compte tenu du nombre sans cesse croissant de sujets que l’on refuse d’aborder dans cette salle, nous souhaitons à nouveau profiter de ce discours d’ouverture pour soulever des défis incontournables qui, autrement, resteront inexprimés cette semaine :

Le premier défi important est l’absence totale de justice pour les victimes de violations des droits humains liées à l’extraction de diamants. Comme nous discuterons à nouveau de la définition des diamants de conflit cette semaine, beaucoup ont tendance à oublier qu’il ne s’agit pas d’une simple discussion théorique, mais d’une discussion enracinée dans les souffrances et les injustices bien réelles. En 2019, nous avons publié “Real Care is Rare” : notre perspective de terrain sur les diamants de conflit. Nous avons rapporté des témoignages et des abus liés à la violence des forces de sécurité publiques et privées à l’encontre des résidents des zones d’extraction de diamants. Certaines de ces situations se sont entre-temps améliorées, d’autres non, mais dans l’ensemble, les victimes sont oubliées. Elles n’ont obtenu aucune forme de réparation, et encore moins de justice, car aucun effort n’est fait pour demander des comptes aux auteurs de ces actes. Nous vous appelons tous à redoubler d’efforts pour panser et guérir ces blessures, car elles ne disparaîtront pas si l’on détourne le regard. Elles ne feront que s’aggraver et deviendront toujours plus difficiles à guérir.

En Tanzanie, Petra Diamonds fait un effort notable pour donner une chance à des milliers de victimes présumées de graves abus commis pendant des années par des gardes de sécurité privés de la mine de diamants de Williamson, d’obtenir une réparation juste et efficace. La procédure de plainte de la compagnie minière est encore à ses débuts, mais il sera important pour nous tous de l’observer et d’en tirer des enseignements. Nous espérons que nous aurons des progrès substantiels et des leçons à partager dans notre prochain discours lors de la réunion intersessionnelle de 2024.

Les victimes de violations des droits humains ne sont pas les seules à se sentir délaissées. Il y a aussi ceux qui ont souffert et qui souffrent encore parce que les barrages de retenue des mines de diamants industrielles ont cédé et ont provoqué des coulées de boue destructrices. À Jagersfontein, en Afrique du Sud, des centaines de personnes ayant perdu des membres de leur famille, leur maison, leur propriété ou leur terre se sentent délaissé

Au Lesotho, les villages situés à proximité de la mine de diamants de Letseng sont confrontés à une menace similaire de rupture catastrophique du barrage. La mine de Letseng insiste pour que les communautés touchées par la pauvreté déménagent à leurs frais dans des lieux plus sûrs, malgré leur combat pour réussir à subvenir aux besoins de leur famille.

Au Kasaï, en RD Congo, des milliers de personnes n’ont toujours pas d’espoir de justice après la tragédie de 2021, lorsque les eaux usées de la mine de diamants de Catoca, en Angola, ont gravement pollué la rivière Tshikapa. Les compagnies minières et les gouvernements devraient prendre au sérieux la vie des communautés.

es par les entreprises concernées et leur gouvernement. Certaines d’entre elles tentent leur chance devant les tribunaux, en dépit des obstacles, des coûts financiers et du stress que cela implique.

La Coalition de la Société Civile reste profondément préoccupée par les incertitudes qui persistent autour de l’exploitation et du commerce des diamants en République centrafricaine. Dix ans après l’embargo imposé par le PK à la RCA, le commerce des diamants du pays ne fait qu’attirer des acteurs plus malveillants. Divers rapports font état de rebelles, de réseaux criminels, de groupes terroristes, d’élites politiques et de mercenaires qui s’enrichissent tous sur le dos des milliers de mineurs artisanaux qui dépendent encore de cette richesse naturelle pour gagner leur vie. Combinée à une situation sécuritaire préoccupante, cette situation complique tout effort visant à dépasser le terrible statu quo en RCA. Le Processus de Kimberley ne parvient pas à maîtriser la situation et l’industrie doit donc être extrêmement vigilante et adhérer aux normes de diligence raisonnable les plus strictes pour éviter d’acheter sans le savoir des diamants de conflit provenant de la République centrafricaine.

Tous ces défis ne nous concernent pas seulement en tant que société civile, ils concernent de plus en plus les consommateurs qui veulent s’assurer que leurs achats ont un impact positif sur les personnes et la planète. Nous saluons donc les mesures prises par un certain nombre de gouvernements et d’acteurs progressistes de l’industrie du diamant en faveur d’une véritable traçabilité. Nous pensons que c’est le seul moyen de maintenir la confiance des consommateurs dans les diamants naturels. Se voiler la face en s’appuyant simplement sur la confiance et la bonne foi ne nous permettra pas d’y parvenir. Ce n’est qu’en sachant d’où et dans quelles conditions les diamants ont été extraits que nous pourrons démontrer en toute confiance les bienfaits des diamants et exclure efficacement les acteurs qui tirent ce secteur vers le bas.

Dans les déclarations d’ouverture précédentes, nous avons déploré le fait que le Processus de Kimberley risque d’aller à l’encontre de cette étape indispensable vers la traçabilité, plutôt que de la faciliter, en raison de son système de certificats d’origine mixte. Aujourd’hui, nous constatons que ce système est effectivement utilisé de manière abusive pour saper la traçabilité et empêcher les bijoutiers et les consommateurs de connaître l’origine de leurs achats. Nous observons une augmentation inquiétante de l’utilisation des certificats d’origine mixte, qui ne peut être interprétée que comme une tentative délibérée de miner la traçabilité. Au cours du premier semestre 2023, les colis d’origine mixte représentaient 65 % de la valeur du commerce mondial de diamants bruts. Certains pays font particulièrement usage de ces certificats mixtes et gonflent ces chiffres. Ce que nous venons de souligner n’est pas le seul problème de conformité du PK.

Nous saluons les efforts déployés pour relancer les visites d’évaluation par les pairs, mais nous sommes préoccupés par le manque de sérieux. De nombreux participants ne contribuent pas à ces efforts. Parmi ceux qui le font, plusieurs considèrent une évaluation positive comme une faveur qu’ils espèrent recevoir en retour plus tard. Il en résulte une interprétation minimaliste des exigences minimales du PK ; la barre est placée si bas que pratiquement aucun effort n’est nécessaire pour être considéré comme conforme.

Nous croyons fermement qu’il est de notre rôle, en tant que société civile, de soulever ces vérités gênantes, même si un certain nombre de participants ne veulent pas que notre voix soit entendue. La pression croissante et le mépris à l’égard de la société civile au sein du PK constituent une menace majeure pour l’approvisionnement responsable et érodent ce système de certification. Les commentaires dégradants et les actes d’intimidation dont j’ai été personnellement victime après mes remarques finales lors de la dernière réunion intersessionnelle sont des éléments révélateurs. Nous appelons donc tous les participants qui attachent de l’importance à la nature tripartite du PK, ainsi que les présidents actuels et futurs du PK, à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la liberté d’expression et d’opinion, ainsi que la sécurité des membres de la société civile.

Nous félicitons le Zimbabwe d’avoir organisé hier le Forum spécial sur les principes d’une gouvernance responsable des diamants, auquel ont participé le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, le groupe d’action intergouvernemental contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), le ministère américain du travail, la société civile et les sociétés minières. Nous espérons que ces sessions pourront être organisées lors de chaque réunion intersessionnelle et plénière, et qu’à l’avenir, elles impliqueront également les communautés affectées par l’extraction de diamants elles même et non pas seulement des intermédiaires.

Nous espérons que le prochain président du PK, les Émirats arabes unis, poursuivra également ce travail et les efforts de réforme du PK, qui sont indispensables. Nous espérons également que leur présidence marquera un tournant dans l’approvisionnement responsable de diamants. L’année dernière, au mois de mars, les Émirats arabes unis ont été placés sur la “liste grise” du GAFI, l’organisme mondial de lutte contre le blanchiment d’argent. Cela signifie qu’ils font l’objet d’une surveillance accrue en raison de “lacunes stratégiques” dans les efforts déployés par le pays pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Au début de l’année, la Coalition de la Société Civile a eu un premier entretien avec le bureau du PK des Émirats arabes unis, au cours duquel nous avons soulevé ces questions et plusieurs autres. Nous espérons poursuivre cet engagement et voir ces questions abordées dans les semaines et les mois à venir.

Chers participants et observateurs du Processus de Kimberley, faisons un usage optimal du temps, de nos ressources et des efforts que chacun a mis à disposition pour être ici à Victoria Falls cette semaine. Les nombreuses personnes dont les moyens de subsistance dépendent des diamants comptent sur nous. Ne les décevons pas.

Je vous remercie de votre attention.

Dr. Michel YOBOUE,

Coordinateur de la Coalition de la Société Civile

info@kpcivilsociety.org