Depuis 2017, le projet LandCam travaille avec les communautés locales à travers le Cameroun pour comprendre les problèmes de gouvernance foncière locale et renforcer les voix locales pour l’élaboration d’une loi foncière qui répond à leurs préoccupations. Les conflits fonciers sont récurrents dans le département du Logone et du Chari de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun et ont souvent dégénéré en violence entre différentes communautés. En raison de la nature complexe et persistante de ces conflits, les autorités administratives locales seules n’ont pas été en mesure d’apporter des solutions durables.

Au Cameroun, les questions foncières sont très complexes et constituent une source de tensions qui dégénèrent parfois en conflits ouverts entre différentes communautés. C’est exactement le cas dans le département du Logone et Chari de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun où récemment, certains villages du bassin du Logone Birni sont devenus le foyer de violents conflits fonciers. Le 10 août 2021, de violents affrontements ont éclaté entre les communautés Arabes Choa et Mousgoum, faisant 28 morts, au moins 74 blessés et 25 villages incendiés. Les affrontements sont nés de désaccords entre deux membres de chacune de ces communautés sur les canaux de pêche et les tranchées creusées par les pêcheurs Mousgoum sur des terres qui sont également utilisées par les éleveurs Arabes Choas comme pâturages. Un accord pacifique n’a pas pu être trouvé en réponse à la plainte des Arabes Choa, selon laquelle leur bétail tombe dans les tranchées ou les canaux de pêche, ce qui a conduit à une bagarre. Ce qui a commencé comme un « simple » combat entre deux individus a dégénéré en un conflit armé ouvert entre les deux communautés ethniques.

Une cohabitation difficile

Les principales communautés ethniques (Kotokos, Mousgoum, Arab Choas) vivant dans le Logone Birni se spécialisent dans un certain nombre d’activités de subsistance. Les Mousgoums sont essentiellement des pêcheurs/agriculteurs, tandis que les Arabes Choa sont essentiellement des éleveurs, qui peuvent également être marginalement impliqués dans l’agriculture. Ils se disputent ainsi les mêmes espaces. Toutes ces activités ont un rapport avec la terre. Les membres des différentes communautés qui ont vécu ici pendant des centaines d’années sont soit impliqués dans l’agriculture, l’élevage du bétail ou la pêche comme moyen de subsistance. Cependant, des rivalités de longue date sur l’accès, l’utilisation et la gestion des terres ont persisté et sont restées une source de la plupart des conflits intercommunautaires.

Bien que ce conflit récent ait opposé pêcheurs et éleveurs, des conflits fonciers ont toujours existé entre agriculteurs et éleveurs. D’une manière générale, les conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs de la zone sont dus à l’intrusion du bétail dans les exploitations parfois situées sur les routes de transhumance. Les dommages aux cultures génèrent des tensions entre les agriculteurs et les éleveurs. En raison du conflit, des milliers d’agriculteurs, de pêcheurs et d’éleveurs se sont enfuis vers d’autres localités de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, tandis que d’autres ont traversé la frontière vers le Tchad. Toutes les personnes déplacées dépendent désormais de l’aide humanitaire et beaucoup ne sont toujours pas rentrées chez elles. Pour les agriculteurs en particulier, août est la période où ils s’occupent de leurs cultures, et avec ce déplacement, cela n’a guère été fait, générant des craintes d’une mauvaise récolte, synonyme d’insécurité alimentaire et de faim.

Au-delà de l’arbitrage des autorités administratives locales

Depuis plusieurs années, la gestion de ces conflits est centrée sur l’arbitrage des responsables administratifs locaux. Mais étant donné la nature complexe et persistante de ces conflits, des mesures prudentes et mutuellement acceptées par toutes les communautés sont nécessaires pour résoudre ces conflits récurrents. Des affrontements similaires à ceux d’août avaient déjà eu lieu en 1990, 2015 et juin 2021. Ceux-ci seraient liés à une rivalité historique pour la domination politique et économique entre les principaux groupes ethniques. Les occupations concurrentes et les revendications foncières ont encore compliqué leur cohabitation pacifique, liée aux pressions croissantes sur les terres des nouveaux arrivants et des projets commerciaux dans la région. L’arbitrage des autorités administratives locales envoyées dans la zone n’a pas résolu ces rivalités.

Étant donné que le bassin du Logone Birni abrite l’un des principaux sites d’exploration pétrolière à terre au Cameroun, son exploitation est une autre source de conflit car différentes communautés peuvent chercher leur propre part des redevances pétrolières infranationales. Face à cette complexité, il est urgent de trouver une solution durable aux conflits sur les droits à la terre et aux ressources des différentes communautés du bassin du Logone Birni.

Le gouvernement central doit agir en véritable collaboration avec les communautés

Dans la pratique, les terres au Cameroun sont régies à la fois par des systèmes statutaires et coutumiers, mais le rôle du gouvernement central dans les questions foncières est essentiel. Étant donné que les conflits dans le bassin du Logone Birni sont essentiellement ancrés sur des rivalités séculaires entre différentes communautés pour l’accès, l’utilisation et la gestion des terres, et sont particulièrement exacerbées par les nouvelles pressions sur les terres au cours des 20 dernières années, une opportunité existe pour considérer ces questions dans la réforme du droit foncier en cours. Depuis plusieurs années, la plupart des actions engagées par les autorités administratives locales pour résoudre les conflits entre les communautés de la région se sont avérées provisoires. Leur intervention ne peut que contenir les conflits pendant un certain temps sans nécessairement les résoudre, notamment quand des facteurs externes entre en jeu.

Le rôle du gouvernement central est donc essentiel pour identifier, reconnaître et promouvoir les initiatives communautaires pour gérer ces conflits, plutôt que de dépendre uniquement de l’arbitrage des autorités administratives locales désignées. De telles initiatives locales devraient être ancrées sur la réconciliation puis sur la collaboration entre les différentes communautés ethniques. La révision en cours de la loi foncière au Cameroun offre une opportunité d’intégrer les mécanismes locaux de résolution des conflits afin que la terre et les ressources ne continuent pas à être une source perpétuelle de conflit pour les communautés qui les utilisent. Une option supplémentaire est que le gouvernement promulgue des directives sur l’aménagement du territoire pour lancer la création d’un plan d’aménagement du territoire participatif qui prend en considération les intérêts de tous les utilisateurs des terres et des détenteurs légitimes de droits fonciers dans la région. Ces efforts combinés peuvent aider à réduire les conflits fonciers qui se poursuivent sans relâche dans différentes localités, en particulier le Logone et le Chari Division de la région de l’Extrême-Nord.