07.04.2020

Anonyme

 

En 2019, Le Cameroun a adopté un nouveau Code Pétrolier qui introduit ainsi de nouvelles réglementations pour l’exploitation d’hydrocarbures, avec pour objectif de relancer l’investissement dans ce domaine. Guy Lebrun AMBOMO s’intéresse aux enjeux de cette nouvelle loi pour la protection des droits fonciers des communautés

 

L’activité pétrolière a commencé au Cameroun en 1947 avec l’exploration des réserves pétrolières et gazières de Souelaba et de Logbaba, dans le bassin de Douala. Quant aux premières découvertes commerciales, elles ont été réalisées dans le bassin du Rio del Rey en 1972. Ce n’est cependant qu’en 1977 après la mise en production du champ Kolé, que le pays acquiert le statut de producteur de pétrole. En 1985, la production a atteint un niveau record de 186 000 barils/jour, mais le déclin de la production lié au choc pétrolier l’année suivante entraîne le retrait des opérateurs et décourage les potentiels investisseurs. C’est à la faveur des réformes fiscales des années 1990 que le secteur suscite de nouveau l’intérêt des compagnies pétrolières. Les Lois de 1995 et 1999 ont été introduites afin de rendre le secteur plus attirant pour les investisseurs.

Toutefois, les polémiques autour de la gestion des revenus pétroliers par la Société Nationale des Hydrocarbures et la Présidence de la République ont perduré, comme on a pu le voir lors de l’achat de l’avion présidentiel devenu plus tard, l’affaire albatros. Ceci était lié au fait que le secteur a été géré pendant de longues années dans une opacité totale, et ce jusqu’à l’arrivée en 2002 de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives.

En Avril 2019, le Cameroun a adopté un nouveau Code pétrolier qui est venu remplacer le précédent, vieux de vingt ans. Face à l’épuisement des réserves, le vieillissement des infrastructures et le report de certains investissements dans le secteur dû à l’instabilité des prix sur le marché international depuis 2016, cette nouvelle loi a pour objectif de relancer l’exploitation des hydrocarbures, améliorer le niveau de leur production, accroître les revenus de l’Etat et l’épanouissement des populations riveraines des champs pétroliers. Car le Cameroun, considéré comme riche en ressources naturelles, compte inlassablement sur l’exploitation pétrolière qui a toujours représenté une part importante de ses recettes. Comme illustration, entre 2015 et 2019, la contribution du secteur pétrolier au budget de l’Etat a oscillé entre 387 et 774 milliards de Francs CFA, soit le deuxième poste de recettes budgétaires du pays.

Seulement, l’exploitation pétrolière n’est pas sans impacts sur les communautés riveraines des sites de projet. En effet, cette activité peut aboutir à la perte des terres et des ressources naturelles exploitées par ces communautés : au nom de l’intérêt général, le gouvernement peut ainsi acquérir les terres occupées par les communautés à travers l’expropriation « pour cause d’utilité publique ». Ces impacts, ajoutés aux problèmes déjà créés par le passé par des projets pétroliers onshore (tels que le pipeline Tchad-Cameroun) ou les expropriations dans d’autres secteurs économiques, justifient de s’intéresser au sort réservé aux droits fonciers des populations riveraines des sites d’exploitation dans le nouveau Code pétrolier.

Une reconnaissance apparente mais insuffisante des droits fonciers

Pour le développement des projets pétroliers, le Code pétrolier du 25 avril 2019 demande aux promoteurs du projet d’identifier les types de terres impactés par son projet, leurs propriétaires et les biens qui s’y trouvent. Le but recherché ici est d’indemniser tous ceux qui, du fait de l’activité pétrolière, perdront des terres immatriculées et non immatriculées. Cependant, cela reste limité aux terres qui présentent des signes visibles de mise en valeur, c’est à dire sur lesquelles existent un certain nombre de réalisations telles que des infrastructures ou des cultures.

Si ces droits fonciers individuels sont reconnus dans la nouvelle législation, l’on constate cependant que certaines limites présentes dans le Code pétrolier de 1999 subsistent. Parmi elles, de nombreux obstacles peuvent par exemple se poser aux communautés lors des processus d’indemnisation : la non-évaluation de la période transitoire des cultures, des barèmes d’indemnisation vétustes ne prenant pas en compte les prix du marché actuels, la sous-évaluation des biens détruits par le projet, ou encore la difficile, voire non-assistance à la réinstallation des personnes déplacées.

En outre, certains groupes sociaux, par exemple les peuples autochtones de la forêt, dont les activités de mise en valeur de l’espace tournent autour de la chasse, la pêche et la collecte des produits forestiers, ou encore les Mbororo, éleveurs et nomades de tradition, exploitent les terres et ressources naturelles d’une façon qui n’est pas reconnue dans le droit camerounais. En conséquence, ces groupes se retrouvent exclus de facto du processus d’indemnisation.

Enfin, si la propriété foncière individuelle est reconnue et défendue par le droit, il faut relever que la gestion de la terre est davantage communautaire dans les faits, sous forme de propriétés foncières coutumières collectives – et ces droits collectifs ne sont pas reconnus non plus.

Alors que le Cameroun a souvent eu des problèmes avec les indemnisations lors de projets de développement, et que la société civile a régulièrement formulé des propositions de revalorisation et d’amélioration pour une gestion des terres qui prenne en compte les intérêts de tous les utilisateurs, le nouveau Code pétrolier ne propose malheureusement pas de solutions à ces faiblesses de la législation de 1999.

Les conséquences d’une régulation approximative

Le Cameroun a établi un système d’octroi des droits d’exploitation qui ne tient compte ni suffisamment des droits fonciers individuels, ni des droits collectifs. Or, au-delà de sévères impacts socioéconomiques et culturels, le maintien de ce système dans le nouveau Code pétrolier pourrait avoir des conséquences dommageables pour le développement des activités pétrolières. Ainsi, le Cameroun pourrait faire face à des conflits opposant les entreprises pétrolières aux communautés riveraines, les communautés à l’Etat, et l’Etat aux entreprises, avec une incidence grave sur les droits humains. L’on peut d’ailleurs faire le parallèle avec d’autres secteurs, tel que celui du palmier à huile où l’on a pu observer que les pertes économiques causées par un retard opérationnel dû aux conflits entre les communautés et les compagnies du secteur peuvent être importantes. Le Cameroun, qui est déjà concerné par ce type de conflits, pourrait donc également en connaître dans le cadre de ses activités pétrolières.

Pour un pays qui tire une part importante de ses recettes budgétaires du secteur pétrolier, le risque est grand. Il l’est d’autant plus que les années où l’exploitation pétrolière était exclusivement offshore, lorsque l’accès aux plateformes était véritablement restreint, sont révolues. Désormais, l’activité pétrolière onshore prend de plus en plus d’ampleur au Cameroun et va donc côtoyer directement les populations.

Recommandations

L’une des conséquences des projets pétroliers, au même titre que d’autres projets d’extraction des ressources, est que les communautés perdent des terres qui sont souvent leur unique source de pourvoi en biens et services. C’est pour cette raison qu’il est important de trouver les bons moyens d’atténuation ou de compensation liés à ces projets. Pour cela, il est nécessaire, dans l’optique d’une cohabitation paisible entre les entreprises pétrolières et les communautés, de :

  • garantir la protection des droits aux terres et aux ressources détenus individuellement et collectivement par les communautés dans le cadre de l’exploitation pétrolière ;
  • étendre le concept de « mise en valeur » aux modes d’utilisation des terres des peuples autochtones et nomades, tels que la chasse, la pêche, la collecte des produits de la forêt et l’élevage ;
  • prendre en compte, pour la compensation des terres agricoles, le prix de la terre perdue ou son équivalent en nature, le coût du travail investi, les équipements, le prix du marché de la récolte perdue et la période de transition des cultures.

 

Guy Lebrun AMBOMO (gambomo@relufa.org) est Assistant de Programmes au Réseau de Lutte contre la Faim (RELUFA) et travaille sur la recherche liées à la gouvernance des ressources naturelles dans le cadre du projet LandCam.